C’est quoi le féminisme bisexuel ?

Le rapport de la bisexualité au féminisme est entaché par le fait que le féminisme a pu servir de justification par certaines militantes biphobes pour exclure les bisexuelles des sphères lesbiennes (Catherine Deschamps 2002 p17). Le féminisme tel qu’il est théorisé par Monique Wittig et Adrienne Rich vise à ce que les femmes se libèrent de la contrainte à l’hétérosexualité, et à ce compte, les bisexuelles ont pu être accusées d’être des « traitres au féminisme » ou infantilisées comme étant des victimes de l’aliénation hétérosexuelle qui ne se seraient pas assez libérées, puisqu’elles continueraient de relationner avec des hommes malgré leur désir pour des femmes.

À cette vision du féminisme comme refus de relationner avec des hommes, on peut opposer un féminisme bisexuel : selon les théoriciennes féministes bisexuelles, nous devons avoir le même degré d’exigence avec nos partenaires, et avec nos relations en général, quelle que soit la classe de sexe à laquelle iels appartiennent. Pour Loïs Shearing (2021, p110), le féminisme bi consiste à « faire le choix conscient d’approcher le désir et les relations entre hommes, femmes et enbies de la même façon et d’avoir les mêmes attentes envers ses partenaires quelle que soit leur genre ». Elle reprend cette idée à la militante bisexuelle Robyn Och (2014) qui écrit « j’ai décidé que je n’attendrai pas moins des hommes, et j’ai compris que cela signifiait que j’allais sûrement éliminer catégoriquement la plupart des hommes de mes partenaires potentiels. Qu’il en soit ainsi ».

De cette manière, la bisexualité féministe, loin de maintenir les bisexuelles dans la contrainte à l’hétérosexualité, peut les en libérer : le désir bisexuel, loin d’être nécessairement un maintien dans l’hétérosexualité pour les femmes, peut être une « sortie de la disponibilité [aux hommes] à laquelle l’hétérosexualité les a automatiquement assignées » pour Mathilde Ramadier (2022, p.229).

Bien sûr, toute bisexualité n’est pas féministe en ce sens, car on peut continuer de tenir un discours qui survalorise les hommes et l’hétérosexualité tout en étant bisexuel’les. À l’inverse, dans une perpective bisexuelle féministe, relationner ou connecter avec les hommes n’est plus un objectif de vie, mais une « option » selon Shiri Eisner (2013), ce qui est empouvoirant pour les femmes : « cette capacité de choisir leur donne le pouvoir de choisir leurs interactions avec les hommes selon leurs propres termes ».

On peut aller plus loin et dire avec Eisner qu’un féminisme bisexuel est aussi un féminisme queer : il est pour toutes les personnes, un appel à « disrupter la continuité sexe, genre, sexualité » et à valoriser la « multiplicité et la pluralité, contrastant avec les valeurs patriarcales d’unité et de singularité ». Pour toutes ces raisons, le féminisme bisexuel est une menace pour le patriarcat et l’hétéronormativité.

Sources : 
Catherine Deschamps – Le Miroir bisexuel, Balland, coll. « Le Rayon », 2002
Shiri Eisner, Bi : notes for a bisexual revolution, Seal Press, 2013
Robyn Ochs “ Bisexuality, Feminism, Men and me” 2014
Shearing, Lois. Bi the Way: The Bisexual Guide to Life. Jessica Kingsley Publishers, 2021
Mathilde Ramadier, Vivre Fluide, Editions du Faubourg, 2022

Autrice : Lou pour Bi Pan Paris